Le défi de l’écriture consiste à lier l’intrigue avec la psychologie du personnage principal, autour du thème. Comment tenir à jour une carte de ces trois piliers pendant le processus d’écriture ou l’analyse d’un script ? La roue narrative est là pour vous aider à y voir plus clair dans un script.
English version is here.
Un thème + un personnage + une intrigue = une histoire.
- Une histoire est le parcours initiatique d’un personnage, c’est l’arc dramatique (la logique inconsciente du personnage).
- Les choix du personnage entraînent des conséquences, c’est l’intrigue (faite d’événements, de rebondissements et de conflits).
- Le personnage et l’intrigue n’ont qu’une seule fonction : développer le débat thématique du récit.
J’ai créé cette « Roue narrative », une mind map dont l’objectif est de synthétiser les causalités d’un scénario : c’est l’arc dramatique du personnage qui entraîne l’intrigue.
La roue se lit de l’intérieur vers l’extérieur (du thème découle l’arc du personnage principal, de ses choix découlent l’intrigue); et de la droite vers la gauche dans le sens des aiguilles d’une horloge.
1) Un thème pour tous les lier
La raison d’être d’une histoire, c’est son thème. Sur quel aspect de la condition humaine invite-t-on le spectateur à réfléchir de façon ludique ? Le thème est l’ingrédient chimique qui va être à la base du développement des personnages et de l’intrigue, comme le carbone l’est pour la vie sur terre.
On n’aime pas les histoires moralisatrices et sans conflits entre des personnages qui auraient tous la même opinion, n’est-ce pas ? C’est pour cela que le thème unique de l’histoire doit être décliné en quatre valeurs philosophiques complémentaires et opposées :
- Le contraire (contrary, en jaune, le début de l’histoire, la thèse de l’acte 1) est le contraire de thème (aussi appelé la norme positive, positive value). Le personnage principal commence l’histoire avec cette valeur profondément ancrée en lui.
- Le contradictoire (contradictory, en rouge, la première partie de l’acte 2) est la valeur qui détruit l’intérêt de la valeur positive du thème. Souvent, c’est la valeur défendue par l’adversaire principal.
- Le cheval de Troie ou l’ironie dramatique (trojan horse, en violet, dans la deuxième partie de l’acte 2) est une valeur ironique du thème, qui intervient souvent à la fin de l’acte 2. Non seulement le héros n’a pas encore compris pleinement l’intérêt d’aller vers la valeur positive du thème, mais il est tenté par une solution simple mais fatale, souvent portée par le personnage secondaire. C’est une sorte de pacte avec le diable, un acte désespéré.
- La norme positive, également simplement appelé « le thème de l’histoire) (positive value, en vert, la fin de l’histoire, la révélation thématique de l’acte 3) est le thème vers lequel doit aller spirituellement votre héros pour résoudre son problème et changer sa façon erronée de se comporter. Le thème apparait souvent dans les dernières actions décisives du personnage principal à la fin de l’histoire.
Un exemple : Si la norme positive est « la liberté », le contraire peut être « l’enfermement », le contradictoire peut être « l’aliénation », le cheval de Troie peut être « la dictature douce ou l’illusion de la liberté ».
Ces 4 valeurs du thème sont repérées par 4 couleurs dans l’arc du personnage principal (main character) et dans l’intrigue (plot) sur la roue. Il s’agit de moments de débat thématique auxquels le personnage sera confronté au cours de l’histoire.
Tout ce qui suit est donc une dramatisation des quatre valeurs du thème.
2) L’arc dramatique créé de l’émotion
La conception d’un récit commence par l’arc dramatique du personnage principal. Que veut ce personnage ? Que va-t-il affronter et apprendre ?
L’approche de John Truby (Anatomie du scénario) pour caractériser l’évolution psychologique d’un personnage au cours de l’histoire est un outil efficace. L’arc d’un personnage est composé de 7 étapes, reflets de notre condition humaine quotidienne face à un problème à résoudre. Par ailleurs, l’arc du personnage principal doit refléter sa confrontation, son questionnement et sa tentation par rapport aux quatre valeurs du thème (d’où le codage des 4 couleurs du thème) :
- La problématique initiale (faiblesse et besoin, weakness and need) : le personnage est face à un problème. Mais pas n’importe lequel : ce problème est une métaphore de sa plus grande faiblesse psychologique et morale. C’est une expression de l’aspect contraire du thème. Pour changer, le héros devra surmonter sa faiblesse : c’est ce qu’on appelle son besoin (qui est inconscient).
- Le désir (want) du personnage pour résoudre (ou éviter) sa problématique. Ce désir doit être concret, palpable et atteignable dans l’histoire. Pour créer un personnage ambigu et subtil psychologiquement, son désir doit aller à l’encontre de son besoin. C’est une dramatisation de la nature humaine : pourquoi faisons-nous des choix (guidé par le désir) qui vont à l’encontre de ce dont nous avons besoin ?
- L’adversaire (opponent) qui vient s’opposer au désir du personnage (étape 2) et renforcer sa problématique (étape 1). L’adversaire est souvent une dramatisation de la valeur contradictoire du thème.
- Le plan imaginé par le personnage pour contourner son adversaire,
- Le point de non-retour (point of non return), qui est la dernière étape du plan. Soit le personnage réussit, soit il rate.
- Les révélations intérieures (self revelations) du personnage. Qu’a-t-il compris sur lui-même, après son affrontement avec l’adversaire ? Il y a deux révélations : l’une psychologique et l’autre morale, qui sont en miroir avec les faiblesses psychologique et morale du personnage. Ces révélations doivent être une métaphore du thème.
- Le nouvel équilibre (new equilibrium) montre comment la vie quotidienne du personnage a changé (et à quel point il était nécessaire de résoudre la problématique initiale de l’étape 1).
2) Une intrigue organique découle des choix du personnage
Lorsque le voyage initiatique (l’arc dramatique) du personnage principal est défini, bonne nouvelle : nous avons une histoire ! L’intrigue permet de dramatiser l’histoire, c’est à dire la raconter au spectateur.
Quelles sont les révélations et les rebondissements narratifs ? Dans quel ordre vont-ils être dévoilés ? C’est l’enjeu de la structure, modélisée ici selon Blake Snyder (Save The Cat), qui propose un découpage smart et fun des traditionnels trois actes utilisés depuis la nuit de temps.
Reprenons la carte mentale précédente. Les différentes étapes de l’intrigue (plot) découlent des 7 étapes de l’arc dramatique du personnage principal.
ACTE 1 : La thèse
– Opening Image : première scène qui suggère la confrontation à venir et le genre du film.
– Set-Up : mise en place des principaux personnages et de leurs problématiques.
– Theme Stated : suggestion du thème, souvent formulée par un personnage secondaire. C’est en général un conseil frappé au coin du bon sens que le héros ne comprendra qu’à la fin de l’histoire. C’est la clef cryptée de résolution de l’histoire.
– Catalyst : c’est la mauvaise nouvelle, le fameux appel de l’aventure. Cet événement, l’unique à arriver par hasard, invite le héros à se lancer dans l’intrigue.
– Debate : ce sont toutes les mauvaises raisons que le héros trouve pour refuser l’aventure. Les humains sont très forts pour diminuer, voir nier, l’étendu d’un problème. C’est là que les forces antagonistes (les adversaires) apparaissent sournoisement.
ACTE 2 : l’antithèse, le monde sens dessus dessous.
– Break Into 2 : le héros prend une importante décision qui le lance dans l’aventure (et le confronte à ses faiblesses psychologiques qu’il refuse de voir). Le héros devient actif.
– Fun and Games : L’action commence, les valeurs du héros sont mises au défi, il s’entraîne et se sort des difficultés en général avec succès. C’est la partie la plus cool d’une histoire. Le titre et l’affiche en sont souvent inspirés.
– Midpoint : C’est le moment où une information essentielle (une révélation) est faite au héros : les enjeux et son dilemme sont augmentés. Soit c’est une fausse défaite (le héros croit avoir perdu), soit c’est une fausse victoire (le héros croit avoir triomphé). Souvent, c’est le moment où un compte à rebours est mis en place, afin d’augmenter la tension narrative. Par ailleurs, le héros a une première compréhension de son besoin inconscient, c’est-à-dire de la faiblesse (étape 1 de son arc de personnage) qu’il doit changer. Mais son désir devient obsessionnel, l’éloignant davantage de son besoin.
– Bad Guys Close In (les adversaires se rapprochent) : Les arguments des adversaires paraissent autant défendables que ceux du héros. C’est un moment de bataille intense entre les différentes déclinaisons du thème.
– All Is Lost : Un coup fatal est porté au héros. Il perd face à ses adversaires. Un moment de libération émotionnelle intense.
– Dark Night of the Soul (la nuit noire de l’âme): Le héros doute du bien-fondé de sa démarche : il aurait mieux fait de rester à la maison. Il peut même être tenté par les valeurs négatives des adversaires. C’est la partie la plus délicate d’un scénario, souvent source du fameux « ventre mou » du deuxième acte. Pourtant sa fonction est essentielle : c’est le moment où le héros est amèrement confronté au thème de l’histoire.
ACTE 3 : la synthèse, la solution.
– Break Into 3 : l’intrigue secondaire (B story) apporte à la dernière minute la solution au héros ou un nouvel espoir pour croire en ses valeurs mises à mal dans la deuxième partie de l’acte 2. Le héros prend une nouvelle grande décision qui l’emmène vers le changement interne (la révélation intérieure de son arc dramatique, qui correspond à la compréhension de son besoin).
– Gathering the tool / the team : soit le héros est le plus éloigné de son BESOIN (ses alliés, son équipe abandonnent le héros), soit le plus proche de son BESOIN (l’équipe se rassemble).
– Storming the castle : un moment fort d’espoir ou de désespoir lors de l’exécution d’un plan visant à battre l’adversaire… mais ce n’est pas (encore) la bonne solution.
– Hi tower surprise : Le héros perd ce dont il a besoin (défaite interne)
– Dig deep down : Le héros embrasse pleinement la valeur positive du thème pour prendre la bonne décision et battre l’adversaire dans l’exécution du nouveau plan.
– Final : l’ultime combat avec l’adversaire principal. Mais cette fois-ci, le héros fait un choix guidé par le thème de l’histoire, qui est en accord avec son besoin et non plus son désir.
– Final Image : La dernière scène du film qui est en résonance (souvent opposée, pour montrer l’évolution du héros) avec l’opening image.
Une histoire en miroir : des promesses et des résolutions.
Il s’agit des fameux set-up (dans la partie droite de la roue, jusqu’au mid-point de l’histoire) et pay-off (dans la partie gauche de la roue, principalement au troisième acte).
Un exemple d’un couple de set-up / pay-off populaire : dans Aliens de James Cameron, Ripley se bat contre la reine Alien avec un exosquelette à l’acte 3. Ce moment n’aurait pas été si marquant (et pourtant attendu) s’il n’avait pas été préparé au début de l’acte 2 (Ripley montre aux militaires condescendants qu’elle sait utiliser ce matériel).
Une représentation en cercle favorise les symétries narratives, si excitantes dans une histoire car elles donnent du sens au public.
Ainsi, le « dig deep down » à l’acte 3, qui est la vraie remise en question thématique du héros, doit répondre au « theme stated » de l’acte 1 qui énonce le thème implicitement.
Grâce à la roue narrative, vous pourrez conserver une vue d’ensemble sur votre histoire pendant l’écriture ou révéler les piliers structurels d’un script que vous devez analyser (thème, arc du personnage principal et intrigue) pour mettre en valeur les qualités et les faiblesses.
Jérôme Genevray / http://genevray.com
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